Henri Mattler, le cordonnier de Durlinsdorf
Le fils d'un potier
Henri est né le 15 juillet 1901 à Durlinsdorf, dans une maison de la partie haute de l'actuelle Rue des Maçons. Il était le fils de Emile MATTLER et de Marie née STOCKER, une famille de six enfants. Son père était potier, "Haffner", d'où le surnom flatteur de "s'Haffners" qu'on attribua aux Mattler. De son atelier situé en contrebas de la Rue du Wasen, aujourd'hui disparu, sortait la plupart des ustensiles en terre cuite utilisés par les familles locales et des environs, vendus sur place ou au marché.
Photo: les parents MATTLER Emile et Marie STOCKER
devant leur domicile dans la Rue des Maçons
La fin de la poterie
Durant la guerre de 1914/18 toute la famille fut évacuée à Eberbach, où leurs bras furent mis au service d'une scierie locale (voir l'article à ce sujet sur le même site). C'est au retour qu'on découvrit le désastre : l'atelier du père MATTLER, qui rêvait de le confier à son fils Henri, avait été dévasté par les militaires : les tours, le four, les modèles avaient été détruits et tellement endommagés qu'il était pratiquement impossible de remettre la fabrication en route. Et le manque de moyens financiers ne permettaient pas sa reconstruction...
Photo: Poterie fabriquée à Durlinsdorf
(Atelier Mattler)
Un bon cordonnier
Le père Emile se consacra alors uniquement à sa petite exploitation agricole. Pour Henri la chance se présenta providentiellement en la personne de son oncle Joseph Schaltenbrand qui tenait une cordonnerie dans la Rue du Wasen. Il y apprit à aimer le cuir et à manier les nombreux outils pour le travailler.
Photo:Henri MATTLER, cordonnier dans l'armée
Arriva la période de son service militaire, où on l'affecta d'office à la cordonnerie militaire, pour l'entretien et la fabrication des fameux brodequins que portaient les soldats. Très vite on apprécia son savoir-faire et les officiers firent appel à lui pour la création de bottes plus raffinées et en cuir fin. Henri gardera de cette période de trois ans le souvenir du moment où l'uniforme lui permit d'acquérir la plupart des gestes de son métier. Les portes de la capitale s'ouvrirent à lui, avec l'aide de sa soeur Henriette qui l' hébergea. Ouvrier modèle dans une entreprise parisienne, il apprendra en trois ans les dernières techniques dans la fabrication des chaussures civiles pour femmes, enfants et hommes.
Une famille, une maison, un atelier
Mais, Henri choisit de revenir au pays, décidé à mettre son savoir-faire au service de sa future clientèle. Très fiers de leur fils, ses parents lui achetèrent une maison dans la Rue Principale de son village. Il la transforma, en y intégrant son atelier, et rêvant même d'y créer un magasin de chaussures, ce qui ne se fit pas. Le 10 septembre 1932, en l'église de Durlinsdorf il se maria à Maria GUR, fille d'une famille paysanne de Liebsdorf. Le couple intégrera son nouveau domicile en 1935. Ils mèneront en même temps une petite exploitation agricole, élevant deux à trois vaches, sans oublier les poules et le cochon.
La guerre de 1939/45 retrouve Henri sur la ligne Maginot, où on l'assigna à la garde d'un fort dans la forêt au-dessus de Bettlach. Il pourra durant cette période rentrer assez librement chez lui pour surveiller ses bêtes et chercher de l'alimentation.
Photo: le cordonnier tel qu'on pouvait le rencontrer,
en tenue de travail, la cigarette entre les doigts
Une belle et fidèle clientèle
Très rapidement, le cordonnier se fera une large clientèle de tous les villages environnants. De ses mains sortiront des générations de chaussures neuves. Les jeunes couples venaient lui commander leurs chaussures de mariage. Il ne portera personnellement que des modèles fabriqués de ses mains. Dans son atelier, souvent surchauffé, qui ne connaissait le petit coin de l'établi où une chaise à côté du fourneau permettait au client de se reposer un instant, où, en attendant une petite mais nécessaire réparation, de se confier ou de demander conseil...
La retraite et le départ
Henri vendit ses vaches en 1967. Tout alla bien jusqu'en 1968 où, trahi par ses yeux, Henri dut réduire ses activités et fermer son atelier en 1970. Sa retraite, il la partageait entre son foyer, les promenades, la visite des anciens amis et des petits enfants de ses deux filles Denise et Henriette. Il quittera les siens, alors qu'il allait atteindre ses 80 ans, le 26 février 1981. Il repose avec son épouse Maria et ses parents au cimetière et à l'ombre du clocher de Durlinsdorf.
Photo:Le couple Henri et Maria Mattler
Le cordonnier de l'Ecomusée
Gagné par la poussière et la rouille, son atelier, encore bien au complet, dormira jusqu'en 1988, où il fut accueilli par M.Grodwohl à l'Ecomusée d'Alsace. Tout fut démonté, jusqu'aux affiches des murs, la vieille lampe pendante de l'établi, et son antique bicyclette qui lui servait à faire la tournée des clients... Au rez-de-chaussée de la maison reconstituée d'Ungersheim, on peut ainsi retrouver l'atelier du cordonnier Henri MATTLER de Durlinsdorf, et avoir l'impression de se retrouver un peu chez lui. A nos oreilles résonneront peut-être les petits désidératas journaliers de ses clients ordinaires : "Henri, luag, ich ha a Absatz verlora !" ; "Henri, ich ha a Ceintur ds'naya !"; Henri, i ha a Chumet ds'repariera !" etc... ce qu'il faisait toujours avec le sourire, et la plupart du temps gratuitement.
Hubert Hoff
Quelques photos de l'atelier d'Henri MATTLER exposé à l'Ecomusée d'Ungersheim.
Photos prises à travers un vitrage qui protège l'ensemble (Evelyne BAUR).