Un volumineux paquet de correspondance échangée entre Enderlin et un certain Claerr nous a été transmis par Mr P. habitant Strasbourg : c'est parce qu'il s'intéressait à Claerr, que Mr P. a acquis ces documents dans une vente de "vieux papiers".
Mais qui était CLAERR ?
Joseph Claerr est né à Dornach, le 9 mai 1855. Il était le fils de Blaise Claerr, peintre natif de Leimbach. Il apprit lui aussi le métier de peintre et fonda au lendemain de la Première Guerre Mondiale, à Dornach, une entreprise qui prospéra rapidement et fit de lui un artisan fortuné. Peintre-décorateur de son état, on lui doit la décoration de la nouvelle église de Leimbach qu'il inaugura deux ans avant sa mort, en 1927. Grand collectionneur d'objets d'art et de meubles anciens, il avait réuni une galerie qui revint à son fils Joseph. Il est mort le 16 janvier 1929.
La correspondance entre Claerr et Enderlin s'échelonne entre décembre 1878 et février 1890 et de nombreuses lettres sont accompagnées de croquis et dessins.
Les deux premières sont datées de Paris et dans la seconde (26 mars 1879), Enderlin envisage le concours du Prix de Rome qui doit être attribué dans huit jours; "si je ne suis pas reçu cette année en loge, je commencerai une figure pour le Salon; la Ville de Paris a ouvert un concours pour l'érection d'une statue de sept mètres Place de la République". La lettre 6 (17/11/1889) est accompagnée d'un poème et d'un dessin intitulé "Vierge des Bois".
Dans les profondeurs des bois
Sous un lit de mousse
Mon âme endolorie s'abaisse
Puis au contact des rameaux
Et des voix incomprises
Renait à la Beauté
O vision étrange que je perçois
Dans la feuillée! Es-tu ma bien aimée
Ou la Vierge des Bois?
Le plus grand nombre des courriers échangés est de nature professionnelle, mais de solides amitiés devaient unir les deux artistes car Enderlin donne souvent des nouvelles de sa famille "Ma femme et mes enfants vont mieux quoique petit Paul tousse toujours très fort"; 15 décembre 1890 "Cela a été une bien grande joie quand est arrivée ta grande caisse toute pleine de chocolat; les yeux écarquillés, jamais ils ne s'étaient trouvés devant pareil trésor et Dina va raconter partout que son grand ami Claerr lui a envoyé des chocolats d'Alsace parce qu'elle a bien posé". 13 février 1888 : "J'ai fait dernièrement pas mal de portraits pour être expédiés dans l'Amérique du Sud; en somme, j'ai pas mal de travaux et si l'argent est rare, j'ai heureusement quelques rentrées de fonds de temps en temps et quoique, avec peine, je puis pratiquer mon art et c'est là l'essentiel". Plusieurs documents sont consacrés au monument d'Engel-Dollfus.
Mon Cher Claerr,
Il est trois heures du matin et depuis une semaine je me tourmente la tête. Voici un projet qui se tient à peu près debout. J'ai pris comme base "Reconnaître l'Homme dans son Oeuvre" en resserrant autant que possible ma composition; "Le travail et la Fortune se consacrant à la gloire de Mulhouse", synthèse de la vie d'Engel...
Le buste serait en marbre et les allégories en bronze; avec ces données je ferai certainement un beau monument qui re- viendrait à une vingtaine de mille francs. Dis moi bien vite si j'ai su concilier les exigences de ta dernière lettre avec mon propre sentiment et je me mettrai immédiatement à l'oeuvre pour faire une maquette de un mètre. (13 février1890)
Paris, le 20 février à 2 heures et demi.
Voici ma dernière idée qui je crois est de toutes la plus heureuse: une petite gloire jeune et modeste orne le médaillon d'Engel; je crois que cela rentre tout à fait dans ton programme. J'ai recherché‚ le même motif avec un buste mais cela est moins intime qu'avec le médaillon et je crois qu'il y a un morceau de sculpture tout à fait ravissant. Allons je vais dormir avec un rayon de joie.
Voici encore une composition qui pourrait devenir très décorative : tu m'as suggéré l'idée d'une fileuse: je la mets accroupie à la base et sous son impulsion tout un monde de petits génies enfants représentant le travail et l'émulation sous toutes ses formes, s'agitent; la masse en serait très colorée et donnerait au milieu du jardin la synthèse de la vie industrielle de Mulhouse.
Le 31 mai 1890, Enderlin écrivait "ta lettre m'a surpris en plein moulage...; je suis allé inviter le père Henner pour qu' il vienne le voir et je te l'expédierai dans le courant de la semaine". Effectivement le buste d'Engel-Dollfus figure bien au catalogue du Salon de 1900, mais nous ne savons pas sous quelle forme car, contrairement à ce qui a été souvent écrit dans les biographies d'Enderlin, cette oeuvre n'est pas exposée au Musée des Arts et Métiers à Paris.
En tout cas, nous avons maintenant une petite idée des tourments de l'artiste !