Curiosités géologiques
Durlinsdorf fait partie d’une série de villages qui, de Courtavon à Oltingue, jalonnent la ligne de contact entre le Haut-Sundgau et les premières pentes du Jura alsacien. Pour le voyageur qui remonte la région depuis le nord, le changement est assez brutal: sans transition, le regard passe d'une campagne doucement vallonnée à une barrière assez raide de collines qui culminent entre 600 et 700m. Que se passe-t-il donc pour que le relief change si brusquement ? En fait, nous sommes ici sur une limite qui sépare deux sortes de terrains très différents tant par leur nature que par le profil des couches. Au pied des collines, il s’agit de Tertiaire d’environ 30 millions d’années dont l’histoire géologique est celle du fossé rhénan. Les collines, elles-mêmes, constituées de matériaux du Secondaire, sont nées après les Vosges, d’une poussée orientée vers le nord ( contrecoup du plissement alpin ) qui a fortement déformé la couverture sédimentaire du Jura produisant creux et bosses à la manière d’une liasse de feuilles de papier que l’on presse contre un obstacle (Dessins 1 et 2).
A cause de l’intensité des forces mises en jeu, ces terrains plissés se sont avancés sur la plaine du Sundgau en dessinant un grand arc qui s'étend de Levoncourt jusqu'à Ferrette et, dans ce mouvement, le pli frontal s’est incliné puis déversé sur les terrains en contrebas ( dessin 3 ). Le déplacement ne s'est pas fait en un seul bloc mais en plusieurs parties plus ou moins indépendantes, délimitées par des failles de direction Nord-Sud, que les géologues comparent souvent à des rails qui ont servi de guides. A Durlinsdorf même, ce schéma général a été respecté sauf que le déversement s'est effectué ici vers l'Ouest. Il faut préciser, bien sûr, que cette situation n’a été acquise qu’après 10 à 12 millions d’années et que le pli déversé qui nous touche ne présente pas l’aspect idéal du dessin 3 à cause, principalement, des effets de l’érosion qui a détruit les couches supérieures. Cependant les traces dans le sous-sol sont bien suffisantes pour montrer que cela s’est bien passé ainsi.
Le chevauchement des terrains jurassiques sur la plaine du Sundgau, qualifié d’exceptionnel dans la documentation, et le déversement ont été démontrés par un sondage ( D. Schneegans et N. Théobald ), effectué en 1941, à la sortie de Durlinsdorf, du côté droit de la route vers Moernach.
Ce forage ( altitude +480m ) a traversé successivement :
- 58 m de marnes de l'Oxfordien ( Secondaire )
- 13,8 m de calcaires du Rauracien ( Secondaire )
- 2,7 m de molasse alsacienne du Rupélien ( Tertiaire )
En quoi ces données sont-elles intéressantes? Elles montrent que des couches du Secondaire reposent sur du Tertiaire, ce qui est anormal, ce devrait être l’inverse. De même les calcaires du Rauracien, plus récents, devraient se trouver au-dessus de l’Oxfordien. En somme, on est dans la situation où les couches les plus anciennes se retrouvent au-dessus de plus jeunes: le forage a traversé le pli jurassique déversé dans sa partie retour ! (dessin 4).
Coupe schématique Est-Ouest
D2: Sondage de 1941
J1 : Callovien et Bathonien supérieurs - marnes et calcaires
J2: Oxfordien- marnes
J3: Rauracien - calcaires
Autres particularités
D’autres particularités apparaissent encore si on examine le terrain suivant l’axe du Grumbach, ruisseau qui traverse Durlinsdorf. De ce point de vue, le village se trouve au débouché d’une cluse, vallon étroit et profond qui permet l'accès vers Winkel et Bendorf. Le Grumbach, qui emprunte ce passage, recoupe les différents plis du terrain à angle droit, fait remarquable dans le Jura alsacien où les cours d'eau comme La Lucelle et l'Ill s'écoulent longitudinalement entre les collines puis les contournent.
En remontant cette cluse, on peut encore faire d’autres remarques :
La sortie du vallon est un passage assez étroit, d'une trentaine de mètres de large, encadré par deux escarpements rocheux: le Kleeberg et le Kirchhöltzle. Le Grumbach semble s’être taillé ici une ouverture dans la masse calcaire. Le site du Kirchhöltzle, reconnaissable à sa plate-forme avec l'église, est pourvu de pentes assez fortes, très propices à la défense: il pourrait avoir servi comme tel à l'époque romaine. Etrange aussi ce Kleeberg en face. S'il était situé dans une vallée vosgienne on y verrait une colline de moraines qui ferme la sortie. Mais ce n'est évidemment pas le cas ici: il s'agit d'un lambeau calcaire du Rauracien redressé à la verticale et même légèrement renversé, au Nord, contre une autre couche de formation plus récente.
En amont et en contrebas du Kleeberg s'étend une zone plate de prés et d’arbres entourée par les collines, une combe, autre caractéristique des paysages jurassiques.
Sur le versant gauche du vallon, on remarque le flanc gris d'une première carrière qui n'est plus exploitée, et plus facilement encore celui d'une autre en pleine activité. Les matériaux extraits sont ceux de la 'Grande Oolithe', puissante formation de calcaire oolithique du secondaire avec des épaisseurs de bancs variant entre 0,20 et 1,50m. On note une inclinaison générale des couches en moyenne de 35° vers le Nord-Ouest. La partie basse de la carrière révèle quelques fossiles ( gryphées, ammonites, téré bratules...).
Plus loin, toujours sur le côté gauche, les couches affleurent dans l' ordre normal des dépôts sédimentaires pour culminer à une corniche du Rauracien à plus d'1 km de l'entrée de la cluse. Des fossiles ( rhynconella, anabacia, cidaris...) permettent de fixer l'âge des dépôts. Ces terrains sont actuellement le domaine de la forêt ( feuillus et résineux ) et se trouvent aussi, en partie, sur le ban de la commune de Bendorf.
Après cette brève description, on peut s'interroger sur l'origine de cette cluse : comment le Grumbach, ce petit ruisseau, a-t-il pu entailler la montagne aussi profondément dans les conditions actuelles? Voici l'opinion d'un géologue, Monsieur GRAHMANN: il suppose que la rivière existait bien avant le pli et qu'elle a maintenu son tracé en s'enfonçant progressivement au fur et à mesure que la montagne se soulevait. Ce cas d' "antécédence" est alors exceptionnel dans le Jura alsacien.
DOCUMENTATION :
Carte géologique du secteur de Ferrette à 1/50 000- Guide et Notice - Editions du BRGM (Orléans)
Observations nouvelles sur le chevauchement frontal du Jura alsacien - Bulletin de la Société géologique - 1948 Schneegans D. et Théobald N.
Dossier de demande d’extension - Société des Carrières de Durlinsdorf - 1996